La littérature sous caféine


lundi 11 octobre 2010

"Pédagogues" contre "républicains" (La littérature sur l'école (2))


Segolene - Débats - Education
envoyé par segolene-royal. - L'info video en direct.

Pour schématiser quelque peu, cela fait trente ans maintenant que deux camps se livrent une sourde guerre, en France, dans le domaine de la pédagogie.

D'un côté, les "pédagogues" (souvent appelés, non sans ironie, "pédagogistes"), dont la figure emblématique est Philippe Meirieu, et qui cherchent, notamment depuis 1989 et la loi Jospin sur l'orientation scolaire, à mettre "l'élève au coeur du savoir" (cela suppose moins de cours magistraux, moins d'exercices supposés contraignants, et davantage d'expression libre, de dialogue, de mises en valeur des compétences de l'élève).

De l'autre, les "républicains" (appellation non dénuée d'ironie elle aussi), représentés par exemple par le collectif Sauver les lettres, reprochant aux premiers de saborder le principe même de la transmission des savoirs, depuis trente ans qu'ils sont au pouvoir par l'entremise des iufm, par exemple, mais aussi par leur influence sur les ministres qui se sont succédés à l'Education Nationale. Pour eux, ce genre de lubie pédagogique expliquerait le terrifiant effondrement du niveau scolaire des élèves du secondaire.

Poursuivant ma découverte des témoignages et des essais sur le système scolaire français, j'ai par exemple lu L'école de la lâcheté, de Maurice T. Maschino, affilié à ce collectif Sauver les lettres. Différent de L'école de la honte, dont je parlais précédemment, car il n'est pas fondé sur le témoignage traumatisé d'un jeune enseignant, il présente en revanche le même ton d'indignation, le même genre de sentences. Il compile les témoignages et les extraits de rapports, tous plus accusateurs les uns que les autres, et si certains sont saisissants, le livre pâtit une nouvelle fois de la grande véhémence de l'ensemble, qui manque de nuance.

On s'amusera par exemple à lire (ou bien l'on s'en effraiera):

"La lettre de FO signale encore un autre cas. Celui de Mme B., qui enseigne depuis 29 ans et s'efforce de donner à ses élèves de ZEP le maximum de connaissances pour qu'ils poursuivent leurs études le plus loin possible. Bien entendu, elle déplaît, et sa note tombe de 17,5 à 10/20: "Mme B. s'engage dans des projets qui sont susceptibles d'enrichir son enseignement, mais la mise en oeuvre des activités qu'elle propose est fondée essentiellement sur la transmission des connaissances."" (L'école de la lâcheté, J'ai Lu, page 74)

J'attaque maintenant le livre de Fanny Capel (l'une des figures de proue de Sauver les lettres), Qui a eu cette idée folle jour de casser l'école ? (Ramsay, 2002). Beaucoup plus documenté que le précédent, tout aussi accusateur mais plus nuancé dans l'expression, il a le mérite de soulever toutes les polémiques possibles et constitue, que l'on soit d'accord ou pas avec les thèses exposées, une excellente première base documentaire sur l'évolution du système éducatif français depuis trente ans.

La thèse du livre pourrait être résumée par ce seul paragraphe, page 17 de l'édition de poche :

" Lorsque Luc Ferry affirme que "la cause du déclin de la transmission des savoirs ne tient ni à la massification de l'enseignement, ni à la méthode globale, ni au manque de moyens", et qu' "il faut la chercher plus loin, dans la culture du XXè siècle", autrement dit lorsqu'il demande qu'on cesse d' "incriminer l'école", il use d'un argument irrecevable. En déplaçant les problèmes sur un terrain sociologique, il ne fait que justifier son inertie, son refus d'agir sur les horaires, les programmes, les instructions officielles, la formation des professeurs, les structures des classes et des filières, autant d'éléments-clés qui entrent en jeu dans la qualité et l'efficacité de l'enseignement et sont fort malmenés depuis quinze ans."

Le diagnostic a le mérite de nourrir le débat. Cependant je ne suis pas sûr d'être aussi catégorique dans l'analyse : d'une part il me semble que les professeurs, malgré des inspections régulières, gardent une grande autonomie dans l'exercice de leur métier, et qu'il leur est donc loisible de faire lire des classiques à leurs élèves et de leur donner à faire des exercices de grammaire; d'autre part Fanny Capel minimise les phénomènes d'évolution sociologique; or il me semble que l'arrivée massive dans le système d'élèves parlant à peine le français joue un grand rôle dans les difficultés de certains établissements, qui manquent par ailleurs de moyens. Il est vrai que les réformes de programmes n'ont rien arrangé, mais je ne les crois pas responsables de tous les maux.

Il me reste à finir ce livre, puis à attaquer quelques-uns du grand manitou des réformes des années 90, Philippe Meirieu... Depuis le temps que je l'écoute sur les antennes et que j'entends parler de lui (on l'admire ou on le déteste), je suis très curieux de lire sa prose.

vendredi 8 octobre 2010

La littérature sur l'école


“L’école de la honte”
envoyé par bergheim. - L'actualité du moment en vidéo.

En ce moment je prépare un texte sur mon expérience de professeur, et je dévore quelques livres sur le sujet. L'offre est pléthorique ! On ne compte plus les témoignages d'enseignants, souvent à charge contre le système, d'ailleurs, ni les éditeurs qui paraissent se spécialiser en la matière.

Dans le genre coup de gueule et pamphlet, je viens par exemple de finir un ouvrage qui marche très fort en ce moment, L'école de la honte, d'Emilie Sapienlak (Editions Don Quichotte, 2010). L'auteur y raconte ses trois ans dans différents collèges Zep, et les raisons qui l'ont amenée à démissionner. Le livre débute de manière assez maladroite, avec un mélange de lyrisme et d'émotion dont on voit mal à quoi il mène. Mais le malaise s'installe progressivement, et la deuxième partie fonctionne beaucoup mieux, peut-être parce que l'auteur, passé le côté glaçant du passage à l'acte d'écriture, se laisse aller à exprimer sa colère et pousse beaucoup plus loin la révolte. Certaines sentences, excessives, nuisent à la crédibilité de l'ensemble, mais après tout c'est la loi du genre...

"On ne se promène pas dans les couloirs du collège. Toute errance y est morbide, comme l'est celle d'un malade dans un asile. Le collège est devenu un catalyseur de folie. Mais contrairement aux gardiens et médecins des hôpitaux, les professeurs ne sont pas très différents des malades. A force de composer avec les névroses d'autrui, je sens grandir en moi un état de confusion que je ne peux pas toujours maîtriser. L'absurde a tout envahi et gomme petit à petit la norme, la mesure et le bon sens." (L'école de la honte, page 184)