La littérature sous caféine


samedi 13 septembre 2025

Gouffres de culture

J’admire Gustave Doré. Ses gravures sont évidemment les plus belles du 19ème, les plus expressives et les plus fortes, mais surtout le projet qu’il s’est donné d’illustrer les grandes œuvres rejoint mes obsessions de lecteur. D’une certaine manière, il accompagne mes découvertes et j’achète maintenant toutes les versions illustrées des chefs-d’œuvre auxquels il s’est attaqué – Rabelais, Cervantès, Dante… Dans l’incroyable volume « Fantastique Gustave Doré » des Editions du Chêne je découvre amusé qu’il se fixait ainsi des listes et j’annexe ces listes aux miennes. Je lirai par exemple Roland le furieux de L’Arioste puisque ce grand maître y a consacré du travail. Ce que j’aime avec Doré, c’est que l’image n’éteint pas l’imagination : elle la relance. Elle est si brillante et précise qu’elle complète et qu’elle enrichit. Doré devient mon guide, le Virgile qui me prend la main vers les gouffres de culture.

Elucider le BDSM

C’est amusant, la prose de Chloé Saffy se fait didactique au moment d’entreprendre un grand livre sur le BDSM – exactement comme un Maître avançant à pas feutrés pour ne pas effaroucher sa proie. Vous en apprendrez beaucoup sur la soumission en lisant « La vocation » (Cherche-Midi, août 2025). Vous y suivrez l’histoire de Salomé qui se confie à la narratrice déjà connue pour ses romans érotiques : la jeune femme s’est peu à peu soumise à un couple, renonçant à son libre arbitre, déménageant chez ses maîtres et se pliant à toutes leurs volontés, jusqu’à subir de la chirurgie. L’étude de ce cas devient l’occasion de réflexions bien menées sur le sens profond du BDSM, agrémentées de références à des œuvres littéraires ou cinématographiques – Histoire d’O, Nelly Arcan, Sacher-Masoch… Par des allers-retours entre sa vie et celle de sa correspondante, l’autrice élucide le mystère par petites touches agrémentées de notes. Elle devient à la fois maîtresse et élève et cela donne cette couleur très particulière au récit, ce tempo tranquille pour une matière incandescente.

En amont de la sortie de « La Viveuse » (Léo Scheer, 2022), j’avais moi aussi pioché dans cette littérature pour éclairer ma démarche, puisque le thème en était si singulier – j’avais cependant gardé ces références à l’extérieur du livre, en les publiant sur les réseaux. Je m’étais également senti tenu à un certain classicisme. Quant à mon personnage, il partageait de nombreux points communs avec Salomé – études en BTS, volonté de s’arracher à un destin médiocre, vide intérieur. Et cette dernière notion n’est pas la moindre puisque j’ai toujours eu l’intuition que ce genre de thème cachait une aspiration secrète à la spiritualité, au dépouillement. En ce sens, la vocation du titre peut aussi s’entendre comme une vocation à la pureté.