Longtemps, je me suis fait une image dégradée de Voltaire : brillant mais inégal, auteur de petits livres parfois gâchés par le plaisir de la formule. Ma préférence allait à Rousseau, qui me touchait davantage. Je trouvais ce dernier plus sincère et ses livres, massifs et bien écrits, me paraissaient sérieux. Mais je me plonge plus attentivement dans quelques-uns des chefs-d’œuvre du patriarche de Cirey comme les Lettres anglaises ou le Dictionnaire philosophique, et je me laisse impressionner par sa puissance de travail, son esprit caustique, son humour, son art de la joie… Quelques pages suffisent à me persuader qu’il s’agit en fait d’un esprit supérieur, et j’en suis presque intimidé – un peu comme en présence de Colette, pour de tout autres raisons.

Et je ne parle même pas de l’incroyable modernité de son propos, surtout quand il s’agit de condamner le fanatisme et les superstitions – propos que condamneraient à leur tour les belles âmes très molles de notre époque, préférant au respect de l’intelligence le respect des croyances. Reviens, Voltaire, tu nous manques !

« Les théologiens commencent trop souvent par dire que Dieu est outragé quand on n’est pas de leur avis. C’est trop ressembler aux mauvais poètes qui criaient que Despréaux parlait mal du roi, parce qu’il se moquait d’eux. » (Lettres philosophiques)