Chez les auteurs que travaille leur identité juive (et qui mettent volontiers en scène les questionnements que cela provoque), on rencontre inévitablement la scène-type de la confrontation avec les goys.

Le tour peut être comique (et volontiers grotesque), comme chez Frédéric Chouraki dont les romans aiment dresser le portrait d’un narrateur revendiquant son identité juive, sans oublier de s’en amuser. Dans La Guerre du Kippour, le garçon présente à ses parents, très portés sur le respect des coutumes, son ébouriffante maîtresse, Popeline, une jeune femme rousse au caractère bien trempé. La rencontre fait bien sûr des étincelles, comme dans cette page où Popeline ne masque pas sa débordante sensualité devant le parterre de Juifs pratiquants :

« Popeline, lascive, se languit de plus belle. Le monde est pour elle une scène qu’il convient d’embrasser. Maintenant qu’elle est parvenue à capter l’attention, elle est bien décidée à pousser son avantage. Les monstres sans cou, dessillés, reluquent cette étrangère à la séduction ostentatoire. Ils la désirent de toute leur perversité polymorphe. David fulmine encore à cause de mes méfaits. Pour lui, je suis l’incorrigible. Popeline, il en est certain, est la nouvelle roquette affûtée en vue de l’éclipser. Lui qui suit scrupuleusement tous les commandements, dont les enchères à la synagogue lui valent le respect des autorités, qui n’a jamais trompé Myriam malgré l’avachissement des chairs et la vacuité exponentielle des échanges conjugaux, ne sera-t-il jamais payé de retour ? Le judaïsme édicte-t-il des règles contraignantes pour mieux mettre en valeur ses transgresseurs ? » (La guerre du Kippour, page 87)

Chez Philip Roth, dont toute l’œuvre est imprégnée par la question douloureuse de l’identité juive – même chez les Juifs qui s’estiment aussi éloignés que possible de leurs racines – la confrontation prend volontiers un tour dramatique, comme dans la brillante Contrevie, l’un de ses livres les plus réussis à mon goût. Le narrateur, qui trouve ridicule son frère parti vivre en Israël, se trouve confronté à l’antisémitisme de la bourgeoise britannique, antisémitisme dont il ne pensait pas qu’il était si virulent et dont il n'imaginait pas souffrir à ce point. L'hostilité latente de la part de sa belle famille l’oblige à reconsidérer l’amour qu’il porte à sa belle Anglaise. Ce faisant, il règle ses comptes avec la religion catholique, comme dans les passages suivants, particulièrement éloquents :

« Ça ne rate jamais. Je ne me sens jamais aussi juif que quand je suis dans une église et que l’orgue se met à jouer. Je peux bien éprouver un certain décalage au mur des Lamentations, je n’y suis pas un étranger ; sur la touche, mais pas derrière la porte ; et la plus ridicule, la plus désespérée des aventures me sert à jauger plutôt qu’à rompre mon affiliation avec un peuple auquel je ne pourrais pas moins ressembler. Entre moi et la pratique chrétienne, au contraire, il y a un infranchissable fossé de sentiment, une incompatibilité naturelle totale. J’ai les émotions d’un espion dans le camp adverse, et je crois être en train d’observer les rites mêmes qui incarnent l’idéologie à l’origine de la persécution et des mauvais traitements infligés aux Juifs. » (La Contrevie, Folio, page 357)

« A quoi ça sert, tout leur bazar ? A quoi ça leur sert, ces mages, et tous ces chœurs angéliques ? Comme si la naissance d’un enfant n’était pas assez extraordinaire en soi, et même plus mystérieuse sans ce bazar. Quoique pour moi, franchement, ce soit à l’occasion de Pâques que le christianisme se laisse le plus dangereusement capter par le miracle, la nativité m’a toujours semblé à peine moins vulgaire dans cette façon qu’elle a de combler le besoin le plus infantile. Les bergers à auréole, les cieux étoilés, les saints anges et le giron d’une vierge, l’incarnation ici-bas sans s’essouffler, sans gicler, sans les odeurs et les sécrétions, sans la satisfaction fauve du frisson de l’orgasme – en voilà du kitsch sublime et infâme, avec son dégoût fondamental du sexe. » (La Contrevie, page 360)

Réfléchissant à ce qu’il en est dans l’œuvre de Woody Allen, je ne me souviens pas de scène décrivant explicitement cette confrontation Juifs-goys, sinon peut-être sous la forme d’une paranoïa diffuse, d’une angoisse perpétuelle.