Jusqu'à maintenant, je n'avais pas apprécié Georges Bataille à sa juste valeur... Ses récits ne me touchaient pas, je me lassais de leur outrance. Quant à ses écrits théoriques, comme L'érotisme, j'avais bien tenté de les lire, adolescent, mais je n'en avais rien retenu, déçu par cette prose assez commune, me semblait-il.

Seules émergeaient quelques phrases lumineuses, glanées ici ou là, des phrases si lumineuses qu'elles semblent pouvoir vous accompagner toute votre vie, comme celles-ci, extraites de L'Expérience intérieure :

"Se demander devant un autre : par quelle voie apaise-t-il en lui le désir d’être tout ? sacrifice, conformisme, tricherie, poésie, morale, snobisme, héroïsme, religion, révolte, vanité, argent ? ou plusieurs voies ensemble ? ou toutes ensemble ? Un clin d’œil où brille une malice, un sourire mélancolique, une grimace de fatigue décèlent la souffrance dissimulée que nous donne l’étonnement de n’être pas tout, d’avoir même de courtes limites. Une souffrance si peu avouable, mène à l’hypocrisie intérieure, à des exigences lointaines, solennelles (telle la morale de Kant)"

Et puis, préparant un petit écrit de réflexion sur la littérature, j'ai décidé de lire L'impossible (Editions de Minuit), dont le titre me plaisait et m'intriguait depuis longtemps. C'est un livre déroutant, fait de courts paragraphes de récit (elliptique) et d'hallucinations métaphysiques. On y retrouve la plupart des obsessions de Bataille (la souillure, l'angoisse, la mort, le plaisir) et ce style si particulier porté à un état d'incandescence que je n'avais pas encore trouvé chez lui (ou je n'y avais pas été sensible).

Ce qui me frappe, c'est surtout son étonnante capacité à mettre le doigt sur des points de tension extrême, à paraître exhiber le noeud de nos tragédies les plus intimes.

Et je suis presque terrifié de me rendre compte à quel point certaines de mes propres obsessions littéraires rejoignent les siennes... J'ai déjà été frappé par le fait qu'il ait déclaré vouloir une littérature contradictoire, moi qui suis fasciné par cette notion de contradiction et qui ai écrit un texte intitulé "la littérature de la contradiction". Dans Suicide Girls, j'ai souvent utilisé l'expression d'amour noir pour désigner l'amour des êtres brisés, l'attirance pour le gouffre... Et je la retrouve, telle quelle, dans une des premières pages de ce livre !

"Ce que j'attends de la musique : un degré de profondeur en plus dans cette exploration du froid qu'est l'amour noir (lié à l'obscénité de B., scellé par une incessante souffrance - jamais assez violent, assez louche, assez proche de la mort !)"

Je vais prolonger ma lecture avec la vertigineuse sensation d'entrer dans mon propre esprit... (Cela dit sans prétention, cependant : l'esprit de Bataille, c'est en quelque sorte la structrure extrême de l'esprit humain)