Rentrée littéraire 2008 (1)

Il y a une nette évolution dans ce qu'écrit Christine Angot : les premiers livres étaient heurtés, plein d'une rage et d'une urgence fiévreuses, chargés parfois de références psychanalytiques - certains trouvaient l'ensemble parfaitement novateur, d'autres indigeste. L'Inceste a marqué les esprits, Quitter la Ville a enfoncé le clou (avec une dimension réflexive nouvelle, puisque l'auteur y parlait essentiellement de la manière dont elle avait accueilli le succès du précédent livre).

Puis la prose s'est déliée : les récits se sont structurés de manière plus linéaire, plus fluide, le livre médian à cet égard me paraissant être Les Désaxés, mon préféré à ce jour (même si certains lui reprochent d'avoir quitté la voie de l'autofiction pure), parce qu'il y avait une tension romanesque, un parfait équilibre entre le côté poisseux de l'atmosphère et la limpidité du récit. Rendez-Vous, sorti chez Flammarion en 2006, prolongeait cette veine en la déliant encore (plus de 400 pages), et le succès critique atteignait des sommets puisque Christine Angot fut présentée pendant l'été 2006 comme la grande championne des Lettres Françaises.

Retournement complet en 2008, non pas de l'écriture de Christine Angot, puisque Le Marché des Amants reprend la formule d'une sorte de journal pris sur le vif, parfaitement sincère, assez brut, qui était déjà celle du précédent livre, mais de l'accueil critique, puisque le nouvel opus, racontant notamment l'histoire d'amour de l'auteur avec Doc Gynéco, s'est attiré les foudres d'à peu près tous les journalistes. Peut-être le thème était-il périlleux ? Qui n'avait envie de se moquer d'un livre qui parlait le plus sérieusement du monde d'une idylle avec le chanteur de Ma Taspé à moi ?

(N'empêche qu'en bon amateur de rap, je dois reconnaître qu'il m'est arrivé de trouver certains titres du Doc joliment troussés)

Il est vrai qu'on peut etre dérouté par la relative minceur de la matière narrative, et puis par l'annonce, en quatrième de couverture, qu'il s'agit d'une histoire d'amour qui "déjoue les prévisions" :"Une femme blanche rencontre un homme métis, Bruno. Ils n'ont a prori rien à faire ensemble." Je ne suis pas sûr qu'un amour entre une Blanche et un Noir soit très subversif, aujourd'hui... Malgré tout l'ensemble se lit sans déplaisir, avec quelques pointes de belles envolées d'écriture, comme la première page qui est aussi l'une des plus réussies.

"Marc était chaleureux et sympathique, il avait envie de rapports intimes, tout en étant réservé il aimait parler. C'était un intellectuel de la rive gauche, décontracté, rieur, pas très grand, petites lunettes pour lire qu'il posait sur le bout du nez au lieu de les mettre et de les enlever, il lisait la carte au restaurant puis levait les yeux par-dessus pour vous parler. Il avait une voiture pour les longues distances, un scooter pour aller d'un rendez-vous à un autre en évitant les encombrements, un vélo parce qu'il aimait ça : sa pensée restait active, pendant qu'il se déplaçait à un rythme tranquille, en silence, il réfléchissait. Il aimait faire le marché, la cuisine aussi. Les cèpes. De temps en temps un très bon restaurant. Il aimait bien. (...) (p 7)

(Clip de la semaine : Fin octobre j'assisterai au concert à la Cigale d'une artiste que j'attends de voir depuis des années, Ani Difranco, chanteuse folk encore assez méconnue en France, aux albums très inégaux, mais capables de morceaux absolument sublimes, d'une sensibilité déchirante. Véritable icône lesbien, et connue pour ses engagements féministes (certains lui reprochent de faire un véritable fonds de commerce de ses discours anti-Bush), elle s'est parfois associée à Prince dans sa dénonciation des méfaits de l'industrie du disque... J'attends beaucoup de sa prestation scénique ! Je sortirai les mouchoirs (et les cannettes) :