J’ai récemment lu deux livres qui mettaient l’Afrique en scène et qui retranscrivaient bien, chacun à leur manière, les impressions contradictoires que j’ai tirées de mon voyage au Sénégal en février 2007.

D’une part la sensation d’une certaine paix, d’un art de vivre, d’une grande gentillesse de la part des habitants. C’est ce qui me paraît se dégager du roman de Valentine Goby, L’antilope blanche (Folio, 2007) : lent roman, très pudique, retraçant l’histoire vraie d’une femme partie vivre au Cameroun dans les années 50, la foi chevillée au corps, consacrant son temps, son énergie (et sa santé) à l’éducation de jeunes filles, et devant finalement quitter le pays, non sans douleur, au moment des événements sanglants de la décolonisation.

L’intérêt de ce livre réside surtout dans le grand écart entre l’éloge d’une femme, altruiste et courageuse, et le souci de garder présent à l’esprit les méfaits du colonialisme. Une volonté très louable, me semble-t-il, de maintenir une vision complexe des choses.

« Je ne déroge pas au souci moral affiché par ma génération, à qui la colonisation semble un outrage, et la guerre, et toute forme de domination blanche et occidentale. Ma rencontre avec les Antilopes n’a pas bouleversé mes convictions profondes et mes valeurs. Mais elle a modifié mon regard sur la vie d’une femme qui, en son temps, fut exemplaire. Fut aimée. D’un amour filial et non servile. Un tel amour, plus de cinquante ans après les faits, ne pouvait que répondre à un amour reçu. Devant lui, la raison s’incline, et les grands discours. Charlotte Marthe est née. Vraie, contrastée, irrationnelle, paradoxale. » (p 276)

D’autre part la tension que peut éprouver l’Occidental dans un monde qui lui reste étranger, dans lequel il est globalement impuissant, et dans lequel rôde parfois le parfum de la misère et de la mort – et d’un terrible fatalisme.

Le beau livre de Céline Curiol, Route Rouge (Vagabonde, 2007) (tellement court que c’en devient frustrant) rend bien palpable cette angoisse : l’auteur relate un voyage au Sierra Leone, marqué par une guerre atroce. Elle se contente de notations relativement dispersées, très bien écrites, et toujours sur une sorte de réserve qui lui permet sans doute de contenir la force des choses ressenties.

« R. m’expliquera que les Sierra-Léonais ont souvent une réaction agressive vis-à-vis du handicap mental ou de la malformation physique – il n’est pas rare qu’on lapide les nains. Dans une société où l’absence de règles éthiques n’encourage pas leur acceptation, les accidents dans le développement morphologique ou intellectuel effrayent. L’anormalité n’est pas spontanément tolérée. » (p 51)