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Très beau livre, plein de douleurs et de lucidité, que ce France, récit d’une enfance, de Zahia Rahmani (Sabine Wespieser, 2006), peignant les déchirements d’une jeune femme ayant quitté l’Algérie pour la France à l’âge de 5 ans. La narratrice se rend au chevet de sa mère malade, et lui déclare son amour. Le récit est morcelé, l’histoire se dit par courtes salves très denses. La langue est belle et pudique, comme dans ces deux passages – d’une part le récit de la surprenante bataille que représente pour la jeune femme la volonté de regarder les publicités à la télévision, d’autre part une véritable déclaration d’amour à la littérature américaine :

« Pour l’image, j’ai défié mon père. J’ai voulu comme lui la télévision. Un jour, je l’ai voulue au-delà du strict journal enfin autorisé. Voir en sa présence le défilé des publicités et pourquoi pas les fictions du soir. Fin des informations, je prends la main de ma sœur, je la retiens, on reste. Arrive ce qui doit arriver. La femme nue. Celle du savon Cadum. Le Dove de l’époque. On ne voit que son ventre, l’eau qui ruisselle, la mousse qui s’anime, peut-être un sein, elle tient un enfant, nu pareillement, je rougis en moi, je tiens la main encore, je ne bouge pas. Mon père stupéfié me fixe. Je vais au scandale. Je ne cède pas, je ne baisse pas les yeux.
Sors d’ici. Sors d’ici, tu n’es qu’une pute, me dit-il. » (p30)

« La littérature américaine m’enseigne, et non sans bouleversement, un peuple. Sans honte elle me le dit. Elle me dit ses avanies, sa cruauté et ses dégradations. Et ce procès en infortune, dont par la lecture je suis le témoin, inscrit en moi une ambition. Sur ce peuple et la violence qui l’a mis au monde, je voudrais tout apprendre. Si je n’avais pas rencontré son destin tragique, celui de ses enfants noirs et de toutes ses femmes et ses hommes arrachés à leur lieu, en lutte contre eux-mêmes, j’aurais fait de ma vie un seul et constant désarroi. » (p60)