Petit livre ciselé à l’extrême, travaillé par le mystère et le souci de la phrase non pas belle, mais savamment énigmatique. Etonnant qu’un exercice d’autobiographie – Marie Ndiaye présente quelques figures de femmes en vert ayant marqué sa vie - débouche sur ces visions légèrement scénarisées, mettant en scène une sorte de fantastique intellectuel (la narratrice doutant de tout ce qu’elle voit et se posant des questions sur les détails les plus anodins). Très beau livre au final, à la fois précieux, fragile et ponctué de quelques somptueuses pages solennelles.

Extrait : « ''Je reviens alors à mon premier sujet :

- Tu t’es marié avec une femme aux yeux bruns et sans doute aimais-tu ses yeux. Mais s’ils sont verts, est-ce que cela ne change pas tes sentiments pour elle ?

Mon père a continué ses dessins et figures abstraites sur le sol, sans me regarder, et j’ai compris qu’il ne souhaitait pas évoquer les yeux de sa femme, mon ex-meilleure amie. Mon père en est à son quatrième ou cinquième remariage. Il est raisonnable de considérer qu’il veut mettre toutes les chances de son côté, à présent qu’il se sent vieillissant et fatigué, en se gardant de toute phrase qui pourrait être entendue ou répétée hors de la cuisine et dont sa femme pourrait un jour s’armer pour démontrer qu’il ne l’a jamais aimée. Qui suis-je pour tenter d’enfoncer un coin dans les fondations de cette union ? Il m’apparaît simplement que mon père, certes très aminci mais plus ni jeune ni fort, n’a pas pris la mesure de l’importance de ces changements dans l’aspect de sa femme.'' »