Dans le beau livre d’Enrique Vila-Matas, « Mac et son contretemps » (Christian Bourgois, 2017), que je lis pour le Prix Rive Gauche de Laurence Biava, le narrateur considère comme un « défaut des romans » leur tendance à présenter de manière dramatique des événements qui, dans la vie réelle, passent souvent de manière anecdotique. C’est la réflexion que je me fais chaque fois que je lis un roman de Philip Roth, mais pour en tirer la conclusion inverse : à mes yeux, le grand talent de Roth est précisément de présenter la réalité sous un angle démesurément dramatique. Chaque minute est une tragédie, chaque existence un destin. C’est peut-être un peu faux, mais c’est impressionnant pour le lecteur. Et ça l’oblige à vivre lui-même de manière un peu plus intense que ce à quoi le quotidien paraît le condamner.

« Les romans donnent parfois un caractère trop dramatique à des événements qui, dans la vie réelle, se produisent en général de façon plus simple ou plus insignifiante, événements qui adviennent et disparaissent, se chevauchent, se succèdent sans trêve, se superposent, circulant comme des nuages que le vent déplace entre de trompeuses pauses se révélant en définitive impossibles, parce que le temps, dont tout le monde ignore ce qu’il est, ne s’arrête jamais. Ce « défaut » des romans est une raison de plus de leur préférer les nouvelles. » (« Mac et son contretemps », page 231)