Dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), j’avais parlé de la « protestation d’existence » des Gilets jaunes. Au-delà des revendications, il y avait surtout le désir d’être regardé, la volonté farouche de s’affirmer comme une force collective méritant davantage que l’ignorance ou le mépris.

Le roman « Rond-point » d'Olivier Sheibling (Rue Fromentin, janvier 2023), l’une des toutes premières fictions centrées sur le thème des Gilets jaunes, part d’une même analyse. Le protagoniste souffre d’une vie atone, en perte de sens. Il a le sentiment de se redresser et de se mettre en marche (n’en déplaise à notre président). Il éprouve ce que Simone Weil décrivait dans ses fameuses lettres compilées dans « La condition ouvrière », la joie de se mettre en mouvement dans les grèves et de desserrer l’étau du quotidien.

« Je n’avais pas encore mis en vente la maison de ma mère, celle où elle avait fini sa vie, et elle m’est d’emblée apparue comme le lieu idéal : aucun de mes amis ne connaissait ce village, tellement banal qu’il en devenait indiscernable, inaccessible, presque absent des cartes. Du reste, les vieux d’ici racontaient que personne n’avait jamais vu d’Allemands pendant la guerre, tellement le village était transparent, à l’écart des routes et en dehors du monde. Un non-lieu de rêve pour passer le reste d’une non-vie. Trouver un nouveau job fut une formalité : le chagrin n'avait pas aboli mes compétences, il avait en revanche anéanti toute forme d’amour-propre, toute revendication de statut et même toute exigence financière. J’étais un rêve pour DRH : ni ambition ni frustration, une efficacité de pilote automatique, je travaillais pour vivre et vivre exigeait peu. Mais me demandait beaucoup. »