Comme d’habitude, le dernier livre d’Emmnanuel Todd part un peu dans tous les sens et son goût pour la provocation l’amène à tenir des propos hâtifs, parfois peu convaincants – pour ne pas dire plus. Mais il y a des fulgurances, et le plaisir d’un regard assez libre sur les réalités contemporaines. Dans « Où en sommes-nous ? » (Seuil, 2017) – titre étonnamment vague, qui ne rend pas justice au côté brûlant du contenu – deux thèses se dégagent à mes yeux.

La première est surprenante. Il s’agit de l’idée que les sociétés occidentales, et notamment la nord-américaine, loin d’incarner par leurs familles cellulaires un progrès dans l’organisation sociale, proposent au contraire une forme de régression par rapport à la famille patrilinéaire d’autres civilisations qui ont mis des siècles, des millénaires à se mettre en place – régression qui nous fascine autant qu’elle nous agace. Faire l’éloge de formes très traditionnelles d’organisation patriarcales : il fallait oser ! Et on sent le plaisir d’un chercheur pourtant identifié à gauche à donner un coup de pied dans la fourmilière du politiquement correct.

La seconde est plus classique, mais elle n’en constitue pas moins l’autre pilier du livre : l’accès d’une part importante de la population aux études supérieures, loin d’insuffler de l’égalité dans la société, n’a fait que conforter le sentiment d’une supériorité de classe, contredisant au passage un certain progressisme de façade.

Je ressens profondément la justesse de cette théorie-là, profondément agacé depuis longtemps par les professions de foi humanistes de gens très éduqués mais qui manifestent dans leurs propos et dans leur comportement un mépris parfaitement avéré pour la plupart de ceux qui n’ont pas eu la change – ou même l’envie – de faire autant d’études. Curieuse inversion du paysage politique depuis une trentaine d’années : le mépris du peuple de la part de ceux qui prétendent parler en son nom. Quand donc la politique retombera-t-elle sur ses pieds ?