J’essaye de suivre l’actualité de ce qui se fait à propos de la banlieue, et si j’ai été plutôt déçu par le film Regarde-Moi (le jeu des acteurs, notamment, est faiblard, et l'agressivité des dialogues finit par être pénible, mais la réalisatrice a une excuse : elle est jeune, très jeune…), je me régale en lisant le livre de Fawaz Hussain, que j’avais croisé dans l’émission de France Culture orchestrée par Jean Lebrun, et que je retrouve prof dans le lycée de Montreuil dans lequel j'enseigne : Prof dans une Zep ordinaire (Le Serpent à Plumes, 2006).

De son enfance kurde, pauvre mais illuminée par l’enseignement d’un professeur qui poussait chaleureusement l’auteur à persévérer dans l’apprentissage de la langue de Molière, aux dures années d’enseignement dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, Fawaz Hussein égrène lentement les souvenirs, sans langue de bois ni démagogie, dans une prose parfois fleurie mais sans trop d’effet ni de moralisme.

Le meilleur du livre se trouve dans le compte-rendu, sans doute assez neutre, mais que certains pourraient juger biaisé, de conversations avec des collègues ou du déroulement de certains cours. L’auteur ne juge pas (ou peu), et prend le risque d’évoquer les tensions intercommunautaires, les non-dits, le tabou des profs qui, malgré leur bonne volonté, finissent par éprouver de la rancœur. L’humanisme et la compréhension prennent le dessus dans la toute fin du livre, mais le narrateur sera passé par toutes les étapes de la défiance et de l’incompréhension.

« A quatre heures de l’après-midi, Alex Vaskolikoff, le professeur d’allemand, a lui aussi la rage à l’arrêt de bus. Depuis le début de l’année scolaire, il essaie d’améliorer ses horaires de travail, mais obtient à chaque fois un refus catégorique de la part de Mme Martins. Dans le RER qui nous emmène vers Paris, il évoque un épisode tragique de sa vie. Avant d’être nommé au lycée, il était maître de conférences, à l’université de la Sorbonne. Il y était bien jusqu’au jour où, pour deux malheureux points, un élève qui lui en voulait s’est mis devant lui dans la salle de classe. Il a plaqué un magnum contre sa tempe. Avec ironie, il m’explique que s’il se trouve à présent dans le train qui nous conduit vers Paris, c’est sans doute à cause de sa peur de la mort et à son évanouissement. Il a senti le métal froid contre sa tempe et il ne se souvient plus de rien. Lorsqu’il a rouvert les yeux, des visages féminins très affables se penchaient sur le sien. Il s’est cru au paradis d’autant plus qu’il entendait des oiseaux gazouiller dans les arbres et que tout était blanc autour de lui. Les infirmières ont appelé le médecin qui s’est chargé de lui expliquer qu’il venait d’avoir un malaise et qu’il avait été transporté en urgence à l’hôpital. Avec l’humour qui ne le quitte jamais, il ajoute que depuis qu’il est au lycée, il lui arrive de regretter la sensation de métal froid, de l’instrument de la mort contre sa tempe. Il préfère encore l’horreur de ce moment-là à celui où il est en face de Mme le proviseur et de la stupidité incarnée. » (p128)