La littérature sous caféine


lundi 26 septembre 2011

L'identité nationale d'un lecteur



Un lecteur alsacien m'écrit une lettre, suivie d'un courrier, commençant de la manière suivante :

"Monsieur,

Votre livre "Autoportrait du professeur en territoire difficile" m'a beaucoup intéressé. J'ai reconnu des situations vécues par ma fille N., qui enseigne maintenant en lycée après avoir enseigné en collège.

Devenu vieux, je souhaiterais laisser quelques souvenirs à mes enfants, sous forme de textes qui ne seront pas publiés.

L'un d'eux, ci-joint, traite de problèmes d'identité auxquels j'ai dû faire face et qui sont très différents de ceux que l'on observe aujourd'hui. Je vous l'adresse à titre d'information historique.

Je n'habite pas en régions (on ne dit plus en province). Je n'habite pas dans l'Est. J'habite en Alsace, je suis français et en plus, je suis alsacien. Question d'identité.

Il est des Alsaciens qui vivent dans le vignoble, dans le Sundgau, dans les vallées. Ils sont plus proches de moi que les Parisiens ou les Corses, qui sont pourtant des Français aussi.

Parmi mes quatre arrière-petites-filles, deux sont des jumelles d'origine éthiopienne adoptées à l'âge de quelques mois. Je tiens à leur transmettre une tradition à laquelle je suis très attaché. Si elles ne descendent pas de ma lignée d'ancêtres par le sang, elles en descendent par l'amour puisque tous ces ancêtres ont beaucoup aimé leurs enfants et qu'elles sont très très aimées par leurs parents (et par moi).
(...)"

L'auteur de cette lettre m'a autorisé à reproduire ici-même une partie d'un document qu'il a intitulé "Mon identité nationale, 2009". S'il a eu l'idée de me l'envoyer, c'est que mon livre contient un chapitre où je dresse une sorte de liste de toutes les identités qui me composent.

Voici de larges extraits du document, passionnant à bien des égards :

Monsieur le Président de la République a lancé un débat sur notre identité et créé un Ministère de l’Identité Nationale et de l’Immigration.
Nicolas Sarkozy est lui-même un fils d’immigré.
Barak Husein Obama est lui aussi un fils d’immigré.

Les questions d’identité nationale et d’immigration ne sont pas forcément liées : comme Alsacien, j’ai dû faire face personnellement à des problèmes d’identité nationale très graves mais tout différents de ceux des immigrés récents.

Qui suis-je ?


[...]

vendredi 8 juillet 2011

Cloture de la revue de presse ?


Marin de Viry - La littérature française... par college-des-bernardins

Pour clore cette saison 2010-2011, et avant de laisser ce blog en friche pendant deux mois, je reproduis ici quelques extraits du bel article de Marin de Viry (cinq pages), à propos d'Autoportrait du professeur..., dans la Revue des Deux Mondes de cet été :

"Education Nationale : Il faudrait peut-être que quelqu'un fasse quelque chose.

Aymeric Patricot fut d'abord un petit bolide scolaire - HEC, agrégation de lettres modernes - puis devint professeur et enseigna trois ans durant les lettres dans des quartiers "difficiles", doux euphémisme qui désigne ces territoires français aussi dévastés qu'abandonnés. Cet Autoportrait n'est toutefois pas un de ces nombreux ouvrages, à la fois respectables et déprimants, analysant le choc culturel puis psychique ressenti par des professeurs pétris des trésors de la tradition littéraire, brutalement mis face à une salle de sauvageons. Le récit de Patricot relève en effet moins de l'exercice égotiste que d'une réflexion sur les ressorts de l'éducation des classes paupérisées. C'est un bilan prospectif bourré d'intelligence et de sensibilité, dénué de préjugés comme d'illusions lyriques, aussi éloigné du cynisme que de l'irénisme. Je l'ai lu comme un excellent livre politique sur l'éducation, qui allie une grande capacité polémique à un calme charisme de sympathie.

(...) Patricot pointe l'écrasante responsabilité des politiques. Le fatalisme est une politique, le fatalisme est un pouvoir, et il a naturellement des conséquences en chaîne, comme une politique volontariste en aurait. Il faut aimer les conséquences des causes que l'on veut : ne rien faire, c'est lâcher dans la nature des élèves qui deviendront, sous une forme ou une autre, des ennemis de la société.

Cet ouvrage très sain propose aussi une belle réflexion sur l'identité française. Celle du narrateur a été bousculée face à ces classes de jeunes gens très majoritairement noirs de peau, ou d'origine familiale maghrébine. Il médite sur son réflexe identitaire, consistant à coller à ses origines régionales par réaction, ne se satisfait pas ce mezzo termine, cherche une définition de la France compatible avec ce qu'il voit, et finit par s'en tirer par le haut, en appelant à la rescousse son métier qu'il aime, et sa mission pédagogique à remplir. Au fond, se dit-il, les gamins, ils sont en face de lui, ils sont un morceau de la France de demain. C'est comme ça et c'est bien comme ça.

Cela m'a rappelé soeur Emmanuelle voyant arriver de nouveaux enfants pauvres dans son refuge du Caire, s'écriant : "Remercions le Seigner de nous donner toutes ces occasions d'aimer !"

Il faut aimer avoir les bras chargés, par les temps qui courent
."

Plusieurs site et blogs ont également parlé du livre depuis sa sortie.

La terrible Wrath, qui s'est fait une spécialité de la dénonciation des petits arrangements entre amis dans le milieu des lettres, n'a pas lu le livre mais s'intéresse ICI au jeu des passages d'un éditeur à l'autre.

Le site AutreMonde fait un compte-rendu assez complet du livre, ICI , expliquant combien la démarche est salutaire tout en taclant légèrement l'auteur sur un certain esprit de renoncement.

Le Blog de Morlino déclare vouloir voter pour moi si je me présentais à la présidentielle ICI.

Joli compte-rendu, également, sur le site VOUSNOUSILS.

Ainsi que sur le site My Boox, par Lauren Malka.

Bel article, enfin, d'Ariane Charton sur son blog Les Ames sensibles, à lire LA.

dimanche 26 juin 2011

Le Jeudi du Luxembourg et Libération

Dans Libération du 25 juin, Michka Assayas raconte sa semaine et titre, pour le lundi, "Au coeur du mal français". On y lit :

Quand j'entends la plupart de mes compatriotes s'adresser en anglais au réceptionniste d'un hôtel à l'étranger, je suis partagé entre la honte et le fou rire. (...) Je suis sûr qu'au moins 50% des candidats au bac n'ont rien compris. Une bonne partie du reste a dû errer dans le brouillard. Pourquoi ce niveau irréaliste ? Pourquoi les humilier ? On est au coeur du mal français : idéalisme et déni de la réalité (c'est pareil). Un jeune écrivain et enseignant, Aymeric Patricot, a écrit là-dessus un livre d'une grande intelligence et surtout d'une rare franchise, drôle en plus, Autoportrait du professeur en territoire difficile.

Bel article de Stéphanie Hochet, dans Le Jeudi du Luxembourg :

Les yeux ouverts sur la banlieue

Après dix ans d'enseignement dans des lycées de la banlieue parisienne, Aymeric Patricot a éprouvé le besoin de faire le point sur son expérience, réfléchir sur le métier de professeur. Originaire d'une ville ouvrière, sans histoires et formé comme tous les jeunes titulaires du Capes (certificat d'aptitude professionnelle à l'enseignement secondaire), il ne s'était pas attendu à rencontrer de telles difficultés en occupant ses premiers postes – à l'époque, il remplaçait des enseignantes parties en congé maternité et des professeurs absents pour cause de dépression.

Que demande-t-on à un prof d'un lycée de banlieue populaire? La réponse évoque le malaise social: tenir une classe (première règle avant celle d'instruire), et aiguiller les élèves vers des filières d'apprentissage… Pour les jeunes diplômés de l'Éducation nationale qui étaient arrivés avec de grandes espérances, la réalité a un goût amer.

GUERRE D'USURE

Aymeric Patricot livre une réflexion sur la violence et le climat délétère qui s'immisce dans les classes. Le problème, c'est que non seulement les jeunes professeurs n'y sont pas préparés – et les conséquences sont désastreuses quand des humiliations et de la guerre d'usure auxquelles s'adonnent certains élèves la violence devient physique, coups et blessures… – mais en plus on leur laisse la charge de régler des problèmes d'insertion. «Aucune structure n'existant pour inculquer à ces enfants quelques principes élémentaires de sociabilité, ou pour apaiser le sentiment de rage qu'ils développent à l'égard de toute contrainte, les professeurs laisseront souvent filer le problème en ignorant ces enfants jusqu'à ce qu'ils sortent du système scolaire – gonflant les rangs de centaines de milliers d'adolescents quittant l'école sans diplôme. »

Un mal-être que les politiques de droite ou de gauche répugnent à traiter pour des raisons différentes: «La droite ne traiterait pas la question parce qu'au fond elle ne s'y intéresse pas, ne jugeant pas nécessaire de dépenser de l'argent pour des populations qu'elle accepte à peine […], quant à la gauche, elle ressentirait une certaine gêne devant une réalité moins docile qu'elle ne l'aurait souhaité.»

Puisant dans son vécu personnel, Aymeric Patricot réfléchit sur la société française telle qu'elle est devenue – «Le mot français suffisait-il à définir ma situation?» –, rappelle les chocs et les expériences émouvantes d'une décennie passée parmi les moins privilégiés du système. Il a le courage de proposer certaines pistes de réflexion dans lesquelles «[il] invest[it] un enthousiasme rageur». Il a le mérite de regarder la réalité en face. Ce texte porte la marque de son courage.

jeudi 16 juin 2011

Yann Moix à propos d'Autoportrait du professeur : "Un opuscule agréable, gentillet et honnête"



Yann Moix a souvent la dent dure, voire l'insulte facile, quand il parle des livres dans sa chronique du Figaro Littéraire. Cette semaine, il égratigne gentiment Autoportrait du professeur... Il admet mettre la moyenne à l'opuscule, ce qui, de sa part, équivaut à un éloge. Je reproduis ci-dessous l'article en question (je me permets d'ajouter quelques alinéas). J'apporterai quelques objections très bientôt - sachant qu'au fond, je suis assez d'accord avec ce qu'il écrit, titre de l'article compris !

Les trouillards noirs de la République

On écrit mal, souvent, sur l'école: les élèves, les préaux, les différents crachats. Les pupitres tagués, la malédiction d'enseigner. Transmettre aux autres renvoie à soi - la peur du ridicule, de la cuistrerie, de l'imposture. La terreur, aussi, de paraître intolérant ou raciste (ne jamais prononcer le mot de « race », cela va sans dire, et pourtant Obama l'a fait ; lui préférer le mot « ethnie »). Savoir, face aux parterres d'origines variées, définir ce que signifie « la France » sans vexer ni exclure. Tenter, via Césaire qui tombe à pic, dè réfléchir (sans trembler ni s'excuser) au concept, tellement complexe, d'identité : et si l'identité n'était pas exactement ce qui se trouve sur la carte éponyme ? Être professeur, cet art de marcher sur des oeufs, et les crânes de ces oeufs. Avoir de l'autorité, ce n'est jamais la même chose qu'être autoritaire : mais comment obtient-on le respect ? On ne renvoie pas les élèves : qui s'en occuperait hors de la classe ? Les surveillants ne sont-ils pas en nombre insuffisant ? Être professeur, c'est s'inscrire sur un îlot solitaire, perdu dans un drôle d'océan : la peur existe, de se faire dévorer par ces ados semblables aux requins qui guettent. Rien n'est plus terrifiant, sur cette planète inconnue munie d'une cour bruyante et de quelques salles en lambeaux, qu'un adolescent. Une complicité (pas une complicité de collabo, une sincère complicité, générationnelle) s'établit, ici, entre le jeune prof et ses élèves : par le rap. «Je voyais dans mes classes les visages de ceux à qui ces textes étaient destinés, de ceux qui vivaient dans leur chair chacun des mots soufflés sur platine, de ceux mêmes qui râpaient d'ores et déjà dans leur chambre, le soir, pour reprendre le flambeau de leurs aînés. » Adolescents entre eux ; mais un jour, l'école rendra le professeur adulte : il est inadmissible d'accepter les responsabilités, de passer des devoirs au devoir. De passer, cette fois, et pour toujours, de l'autre côté. "

Aymeric Patricot écrit simplement ; il rend une copie digne , et claire, un petit rapport sans faute d'orthographe morale. C'est du bon travail, je mets la moyenne. Pour la vision, on ira chercher Péguy, Daudet, Vallès. Et José Lezama Lima ! Je vous recommande, pour l'été, les scènes d'école de Paradise (1967). Il manque à Patricot la folie : mais peut-on encore enseigner par le délire et la subversion ? Débouler dans les classes avec Céline et Gombrowicz, Kafka et Lautréamont, saint Paul, le Talmud, Artaud, Bloy, plutôt qu'avec le génial mais trop inévitable Molière ?

L'auteur déroute un peu : on ne pourrait, jusqu'à la fin des temps, qu'être condamné à répéter, en boucle, les réflexes passés. Enseigner, ce n'est pas faire apprendre, ni même faire connaître : c'est faire comprendre ; et même, c'est transmettre non le savoir, mais la transmission elle-même. Petit opuscule agréable, gentillet, honnête, qu'on prêtera aux amis concernés, bien que nous ayons l'habitude, désobligeante, de ne fréquenter point les professeurs. Être cancre, ce fut une carrière pour nous ; un devoir - et surtout, une manière de destin. Pour le reste, nous laissons à ces valeureux hussards noirs, désormais trouillards noirs, de la République, le respect que nous leur devons ; mais avec cette ironie légère qui autrefois les admirait beaucoup, qui maintenant les méprise un peu. Amen."


Yann Moix, Le Figaro Littéraire, 16 juin 2011.

samedi 11 juin 2011

Marianne et La Croix

Un article de Benoît Duteurtre dans le Marianne du 11 juin :

« D’un côté, le désir d’enseigner ; de l’autre, la tension et la violence du terrain. D’un côté, une foi de principe dans « l’école républicaine » ; de l’autre, une question de survie face aux permanentes provocations. L’écrivain Aymeric Patricot nous livre son expérience d’enseignant dans les quartiers « sensibles », en banlieue parisienne. Son texte parfois cruel mais plein d’humanité, s’apparente à une découverte de la réalité, au-delà des illusions lyriques et des fumées idéologiques. Dans cet environnement pas forcément solidaire, celui qui craque devant les élèves devient facilement un mouton noir. De son parcours désabusé, il veut tirer une analyse critique, une réflexion constructive et quelques enseignements… pour lui-même ! »

Un autre de Jean-Claude Raspiengas dans le numéro de La Croix du 14 mai :

« Aux avant-postes d’un sombre avenir

C’est un cri. Un de plus. Sera-t-il aussi peu entendu que tous ceux qui l’ont précédé en librairie ? Ou reçu un peu à la manière dont un certain PDG qualifia d’effet de mode la vague de suicides qui sévissait dans son entreprise ? Aymeric Patricot a 36 ans. Il est agrégé de lettres (et romancier). Pendant six ans, il a navigué comme remplaçant dans les collèges et lycées de Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis, avant d’obtenir un poste fixe à la Courneuve. Débarquant en terrain inconnu, il a découvert le réel ou plutôt comme il dit « une partie conséquente d’une réalité française que je m’étais appliqué à ne pas voir » : la pauvreté, l’immigration, les « quartiers sensibles ». Confronté à des insultes mais aussi à une violence physique pure et dure : il a même vu, dit-il, des adolescents lancer des boules de pétanque sur les professeurs.

Dans Autoportrait du professeur en territoire difficile, il relate, décrit, analyse la violence de son expérience, à laquelle rien ne le préparait. Ni sa propre éducation, ni l’apprentissage de son métier puisque les formateurs s’évertuaient à ne pas inquiéter les nouveaux diplômés, à taire ce qu’ils avaient eux-mêmes enduré. « Ce serait un signe d’échec que d’admettre avoir connu le désespoir », avance l’auteur. Autre découverte : l’éducation nationale ne défend pas les profs en difficulté. Aucun soutien de la part de la hiérarchie qui, en général, préfère les tenir pour responsables de ce qui leur arrive. On minimise l’incident (comme s’il était isolé et sans signification) et on met en doute les compétences de l’enseignant agressé. A cela, il convient d’ajouter la terrible dégradation des conditions de travail depuis vingt ans. Et l’on se retrouve avec un taux de suicide effarant chez les professeurs, victimes d’humiliations répétées.

Face à la profondeur des problèmes, Aymeric Patricot met en cause l’indigence des réponses, la volonté d’aveuglement et l’inertie générale. Misère culturelle de l’enseignement : élèves abandonnés, profs relégués dans un quotidien misérable. Au lieu de débattre de « l’identité nationale », il vaudrait mieux se concentrer, plaide-t-il, sur l’idée de cohésion. Aymeric Patricot alerte, appelle à l’aide (dans le désert ?) : ce qui se passe « entre les murs » détermine notre avenir. Inévitablement
. »

jeudi 26 mai 2011

"Le courage d'enseigner" (Philippe Petit sur Marianne 2)

Bel article de Philippe Petit sur le site de Marianne 2 :

"Le livre s’ouvre sur une phrase d’une étudiante affirmant : « A l’école j’ai perdu l’habitude de réfléchir… ».

Cet aveu pourrait être le fil rouge de cet autoportrait. Un enseignant y découvre que son rôle n’est pas d’enseigner et que les enfants ne vont plus à l’école pour réfléchir. La mission de l’institution scolaire n’est plus de transmettre un savoir, mais de rapiécer le tissu social. « Certains redoutent l’avènement d’un système à deux vitesses. Il me paraît évident qu’il existe déjà » (p. 28). Ce dont nous parle l’auteur, c’est donc bien de ces collèges français relégués, défavorisés, de ces Zones d’Education Prioritaire où le but du professeur est réduit à contenir la violence de sa classe. Dans ce livre biographique, il est question de la honte du professeur qui n’arrive pas à tenir sa classe pourtant intenable, il est question de la mauvaise conscience d’un professeur contraint d’aiguiller tel ou tel dans la filière qui lui correspond, en fonction et en raison des ses handicaps socioculturels. Mais il n’est pas seulement question de la souffrance du corps professoral, puisqu’il est aussi et surtout question de la France et de son Histoire. L’Histoire de France vues par le prisme d’un enseignant, autrefois candide.

« C’est à vingt-neuf ans, débutant comme enseignant, que je me suis posé pour la première fois la question de l’ethnie – tout au moins de l’ethnie en France ». (p. 61). Il est donc aussi question d’un jeune français, un jeune normand nouvellement agrégé, qui découvrit qu’il est blanc lorsqu’il débarqua dans un collège de la région parisienne ou 95% de ses élèves ne le sont pas. Et oui, messieurs les Républicains, la couleur de peau, la ségrégation colorée, la color line comme disent les américains, et bien cela se voit. Et cela s’entend comme ce professeur qui entend ses élèves lui dire : « On n’est pas comme vous, M’sieur. On n’est pas Français, nous ». Dans ce livre il est question de collégiens et de lycéens qui sont manifestement « blessés de la race » et d’un professeur qui découvre que le mot « français » qui lui servait autrefois à définir son identité, lui fait aujourd’hui l’effet d’une « coquille vide ».

C’est un livre violent car il y est question de violence, d’une double violence même car la violence quotidienne est redoublée par le silence sur cette violence. Le grand mérite d’Aymeric Patricot est de briser ce silence. Est-ce un mérite ou une nécessité ? Comment en effet survivre sans crier cette violence sans voix ? L’auteur semble nous dire : « ouh… ouh… savez-vous qu’il existe des métiers, à savoir celui de professeur en territoire difficile, où le quotidien est fait d’insulte, de crachat, de coup, d’humiliation, de solitude, de dépression, et de suicide . Savez-vous que le malaise des professeurs n’a d’égale que le silence de l’Institution, l’indifférence cynique des supérieurs hiérarchiques et la détresse des collégiens ? ».

Il n’y a pas que de la colère dans ce livre, il y a aussi de l’admiration. D’une part de l’admiration pour la sincérité des lectures d’adolescents qui découvrent Jean-Baptiste Poquelin ou James Ellroy, ou admiration pour l’authentique talent littéraire de certains de ses élèves qui, quoique nés hors de France, ont épousé sa langue. D’autre part, écrit l’auteur, « j’éprouve une véritable admiration pour les dizaines de milliers de professeurs qui persistent à travailler dans ces endroits-là, parce qu’ils font preuve d’un courage, d’une abnégation, d’une force dont je n’aurais pas été capable » (p. 93).

Aymeric Patricot a en effet quitté le collège unique pour le lycée général qui lui n’est plus unique, et cela par instinct de survie. Cela demande du courage que de dire à voix haute qu’on n’a plus le courage d’aider ces collèges en difficulté, qu’on préfère laisser de coté ces « adolescents invisibles » qui n’auront pas la chance d’accéder au lycée, et cela, car il y va de notre santé. Le lecteur passe lui aussi de la colère à l’admiration. Si ces professeurs pouvaient être admirés par d’autres que des professeurs, si ces professeurs pouvaient ne pas être méprisés par le gouvernement, alors, peut-être, que notre colère s’en trouverait soulagée. Merci à eux donc, ces professeurs en territoire difficile, et merci à Aymeric Patricot de les avoir remerciés.
"

samedi 14 mai 2011

Les désarrois du professeur en ZEP

Dans l'édition du samedi 14 avril du monde, un article de Mattea Battaglia à propos d'Autoportrait du professeur... dans la rubrique Le livre du jour (en ligne ICI).

"On ne compte plus les témoignages de jeunes professeurs meurtris par les conditions de leur "prise de fonctions" - ces "bleus" qui vivent dans leur chair l'écart entre un concours d'élite et le niveau du travail demandé en classe. La réforme dite de la "mastérisation", entrée en vigueur en 2010, a exacerbé le malaise, privant ces enseignants débutants de leur année de stage.

Internet, depuis plusieurs mois, s'est fait l'écho de leur désarroi : sur les blogs et les forums de discussion, la parole des enseignants se libère, pointant la difficile transition entre la formation et le terrain.

C'est ce passage, cette mise à l'épreuve que raconte Aymeric Patricot, agrégé de lettres modernes, débarqué, en 2003, dans une banlieue parisienne dont il ignorait tout - ou presque.

Le jeune homme de 29 ans, originaire du Havre, va assurer durant trois années des remplacements - de deux à trois mois - dans des collèges et lycées. Là, il se confronte à ces "zones sensibles" auxquelles, dit-il, ni les médias ni surtout l'institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) ne l'ont préparé.

Première destination : Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), ses barres HLM où plane le souvenir de la jeune Sohane, brûlée vive dans le local à poubelles de sa cité... à quelques centaines de mètres de l'établissement où il est affecté. Et premier conseil asséné par la principale : "Votre travail consiste à tenir vos classes, autant qu'il vous est possible." Quid de la transmission des savoirs ?

VIOLENCE MORALE ET PHYSIQUE

Le jeune homme s'interroge sur un métier qu'il doit, chaque jour, improviser, où la violence - morale et physique - le dispute à l'épuisement. "Je crois pouvoir affirmer qu'il existe deux métiers, écrit-il, dans les collèges favorisés, l'enseignant transmet des connaissances, identifie les progrès à faire, exerce les élèves ; dans les défavorisés, il contient la violence (...) et s'estime heureux lorsqu'il fait apprendre, pendant l'année scolaire, quelques maigres notions comme le présent de l'indicatif..." On ne sait s'il éprouve de l'admiration ou de la compassion, sans doute les deux, face à cette frange de professeurs qui cultive l'abnégation - "ces personnes aux épaules voûtées, rasant les murs, les joues creuses et tirant nerveusement sur une cigarette à la moindre pause, ces personnes que j'avais pour fonction de remplacer, précisément"...

Il est sévère à l'égard de l'institution, le ministère, l'administration, les politiques qui laissent les enseignants aller au casse-pipe. Aymeric Patricot est tout aussi intraitable pour lui-même, ou pour le "débutant" qu'il a été : manque d'autorité, recours à la menace et à l'exclusion... "Je me suis imaginé donner des coups." Il insiste sur la "mauvaise conscience" du professeur en zone d'éducation prioritaire (ZEP), qui n'ose plus se plaindre d'élèves cumulant déjà toutes les difficultés.

Admettre le désespoir n'est pas nécessairement signe d'échec. L'auteur évoque aussi des "expériences lumineuses", l'orgueil de former les adultes de demain, la joie de se confronter à cette "pâte humaine" pas encore formatée par l'idéologie et la morale. La spontanéité contagieuse des adolescents, leur enthousiasme pour Molière, Corneille, Maupassant. Les talents qui se révèlent. Selon une enquête menée par la Société des agrégés, plus de 45 % des professeurs du secondaire ont un jour songé à démissionner.

Aymeric Patricot n'en fait pas partie, mais il a tourné la page des remplacements il y a trois ans pour enseigner en poste fixe dans un lycée de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). "Les classes deviennent gérables (...). C'est que les éléments les plus brutaux n'y accèdent pas, et même parfois quittent le système", note-t-il, sans langue de bois.

Autoportrait du professeur en territoire difficile, Aymeric Patricot, Gallimard, 113 p., 9,50 €

Mattea Battaglia
"

jeudi 28 avril 2011

Chronique d'Audrey Pulvar sur France Inter



Belle chronique d'Audrey Pulvar ce matin sur France Inter à propos de "Autoportrait du professeur en territoire difficile" (podcast sur la page de France Inter).

En fin de billet, j'apporte quelques précisions pour dissiper les malentendus auxquels pourrait donner lieu la lecture de l'article...

"Une fois de plus Aymeric Patricot nous parle de ce qu’il connaît bien : les collèges de ZEP, où il a travaillé pendant trois ans.

Mais cette fois, pas sous une forme romanesque. C’est bien d’un témoignage qu’il s’agit et j’avoue que le ton utilisé peut parfois mettre mal à l’aise. A moins, à moins qu’on n’accepte de lire ce livre à plusieurs degrés. Par exemple, on pourrait sourire devant la façon dont il évoque ces « jeunes femmes d’une vingtaine d’années… persévérantes, travailleuses, animées d’une foi véritable en l’enseignement, prête à se sacrifier pour les élèves » et semble-t-il lâchées parmi des fauves tendus vers un seul but, les lacérer -on s’attend presque à ce qu’il emploie l’expression « sexe faible ».

On pourrait aussi s’étonner que cet enseignant semble regretter l’interdiction faite au personnel scolaire de riposter physiquement aux agressions physiques perpétrées par des collégiens. Des profs qui se feraient justice eux-mêmes, en quelque sorte !

Il est vrai qu’à lire Aymeric Patricot, ils ne peuvent pas vraiment compter sur leur administration pour cela, même dans les cas très graves. On pourrait aussi tiquer sur ce qui semble être une justification des discriminations pratiquées à l’égard d’étrangers ou de Français de parents étrangers, lors d’un parallèle bizarre avec la propre expérience d’Aymeric Patricot au Japon, mais l’essentiel est ailleurs.

Dans la dénonciation intransigeante de la violence scolaire, quotidienne, répandue, presque érigée en dogme, au sein de ces établissements dits difficiles. Pas de transaction donc, avec l’inacceptable, au motif qu’il serait le fait d’élèves en grandes difficultés personnelles ou mis, injustement, au banc de la société. Patricot ne trouve pas d’excuse non plus, à une administration dont il pointe les lâchetés tout en reconnaissant qu’il est souvent bien difficile de compenser le manque de moyens et de personnel.

A quoi rime le métier d’enseignant, quand on n’obtient parfois pas une seule minute d’attention de sa classe sur toute une heure de cours ? Quand on ressort lessivé d’une journée passée à hurler, en vain, pour se faire obéir et que l’on chemine la peur au ventre jusqu’à son train ? Et quand surtout, on n’ose s’en plaindre ou partager ses angoisses, parce qu’un bon prof doit savoir en toutes circonstances « tenir sa classe » et se faire respecter ?

De victime, c’est donc le prof qui devient l’accusé, s’il ne parvient à discipliner trente adolescents rétifs à toute idée d’autorité. Et pendant ce temps, c’est bien l’école à deux vitesses qui s’installe. Celle des quartiers bourgeois et celle des quartiers pauvres, « relégués », c’est le mot à la mode.

Aymeric Patricot en veut aux politiques. Il accuse la droite de ne pas traiter la question, par manque d’intérêt pour des populations qu’elle accepte à peine et estime perdues. Il reproche à la gauche son « optimisme » devant une réalité, « moins docile qu’elle ne l’aurait souhaité ».

Patricot rêve, comme beaucoup, d’une société où les mots « égalité des chances » sonneraient moins creux, où il n’aurait pas une impression de les tromper, quand il essaie de convaincre ses élèves que non, l’origine ethnique ou sociale ne sont pas un frein à leurs ambitions.

Une France où, si le concept d’Identité nationale ne veut plus dire grand-chose, au moins pourrait-on essayer celui de « cohésion nationale » avec Baudelaire, Molière, Voltaire ou Corneille pour ciment ? Il a essayé, ça marche !

Allez, malgré la peur, l’épuisement, le désarroi, enseigner, nous dit-il, reste un métier exaltant. A La Courneuve, où il exerce aujourd’hui, il sait être en immersion dans ce qu’il nomme « la matière même de la France », le cœur d’une Nation qui se prépare. Il y a pire, comme horizon !"


A propos de cette chronique, quelques précisions :

- Certes, j'ironise sur le contraste entre le dévouement de certains jeunes professeurs et la dureté des conditions de travail. Mais loin de moi l'idée d'un "sexe faible" mal armé pour un tel contexte ! Je suis au contraire très admiratif de la persévérance et de la force morale de la plupart de mes collègues - et je le dis dans le livre.

- Loin de moi aussi l'idée de justifier le principe de la discrimination (même d'un point de vue "philosophique", comme a pu le faire Eric Zemmour). J'évoque simplement dans le livre une série de petits événements vécus sur le thème du racisme, et quelques pointes de mépris dont j'ai pu être victime au Japon. J'explique comprendre, au fond, certains mouvements de xénophobie japonaise, mais je n'en tire bien sûr aucune conclusion sur la nécessité de la discrimination. J'explique ne pas avoir été blessé par ces marques de mépris, tout en comprenant parfaitement qu'on puisse l'être, dans d'autres contextes.

- Quant à l'autodéfense, il va de soi qu'elle est à proscrire... Je me contente de décrire la détresse qui peut être celle de professeurs dont personne ne garantit la sécurité.

Ces quelques précisions faites, merci à Audrey Pulvar pour sa chronique, qui fait un relevé judicieux des quelques thèmes abordés par le livre.