La littérature sous caféine


mardi 7 octobre 2025

Un goûter au cimetière (3/3)

J'avais griffonné de mémoire et à la va-vite un portrait schématique de mon père. Puisque je n'étais jamais parvenu à retenir la date de sa disparition, j'estimais qu'il était finalement resté à l'état de fantôme. Ce goûter servirait-il d'exorcisme ? Peut-être allais-je enfin voir la date s'inscrire en moi. D'autant qu'un autre fantôme existait depuis toutes ces années sans que j'en sache rien, un fantôme dont il m'est arrivé de parler aux précédentes réunions et qui a récemment pris corps parmi nous. J'ai déposé le portrait sur une tombe anonyme (la mousse en rongeait le nom) marquée d'un simple "A notre père". J'aimais cette conjonction des imaginaires. Le goûter achevé, j'ai remballé mes petits visages en carton. Des corps disparaissent, d'autres apparaissent. La valse des mots, la valse des noms, la valse des actes font une jolie sarabande.

Un goûter au cimetière (2/3)

Nous n'avions pas le droit, bien sûr, de pique-niquer au Père-Lachaise, encore moins de nous asseoir sur les tombes. Nous nous sommes malgré tout accordé ce droit, d'autant qu'il n'était pas absurde de rendre hommage aux morts en leur soufflant un peu de vie. Nous célébrions le décor baroque de leur dernière demeure. Passé ma désormais traditionnelle présentation des convives, suivie du relevé des invités fantômes, nous avons joyeusement parlé de spiritisme, de constellations familiales, d'univers gothiques, de mystique juive, de yoga... Il a bien fallu que je sonne ma cloche lorsque la conversation s'est dangereusement cristallisée sur l'IA, mais une pirouette nous a ramenés dans les parages du refuge d'ombres. Les rappels à l'ordre m'ont servi de prétexte pour lire du Baudelaire, puis du Rabelais, avec lequel la fréquentation du Cercle me rend chaque jour plus familier. A l'instant crucial de la photo, j'ai déclaré partir à la recherche d'un touriste allemand et la première personne à se présenter s'est effectivement révélée allemande. Le couple qui s'est alors chargé du portrait n'en revenait pas : les Français sont décidément de drôles d'oiseaux. Le corbeau qui nous accompagnait a salué son départ.