Aymeric Patricot : L'avortement chez les Bisounours

L'avortement chez les Bisounours

Par admin, mercredi 7 mai 2008 à 22:13 :: Littérature française :: #381 :: rss

« Tu sais, le monde de l’édition, c’est vraiment des gentils par rapport au monde de l’art contemporain. Si tu savais comme les coups bas, parmi les éditeurs et les écrivains, sont bon enfant ! Des bisounours, vraiment ! » me confie Marc Molk dans l’appartement du 16ème qui présente un de ses montages vidéos (à l’occasion du surprenant et sympathique Vidéo-appart 2008).

Sur ces bonnes paroles je m’assois face à l’écran, je branche les écouteurs et j’écoute, subjugué, la lecture d’un passage de son livre Pertes Humaines (Arléa, 2006) (recueil très fin, très polisson, de courts récits des amours et des attachements du narrateur):

« Il me faut toujours une bonne heure d’explication pour obtenir la fin des récriments dans une conversation sur l’avortement. Je navigue la plupart du temps dans des milieux dits de gauche. Dire dans ces conditions toute l’aversion que l’on peut ressentir à l’idée d’avortement passe pour le chausse-pied d’une remise en cause de la loi Veil. Quand ma bouche articule que je suis prêt demain à manifester pour le droit à l’avortement, on ne m’écoute déjà plus, on ne me croit plus. Il n’est pourtant pas difficile à comprendre le cloisonnement entre l’espace public et la répulsion intime. En tant que citoyen, je défends la liberté de chacun à disposer de son corps ; en tant que personne, la simple idée d’être à l’origine ou impliqué dans un avortement me donne un vertige tel qu’il me faut m’appuyer ou m’asseoir (…) » (p 51)

Tout au long de mon écoute, j’adresse à Marc, en pleine conversation à l’autre bout de l’appartement, des signes de félicitation. Je me sens parfaitement en phase avec ce genre de texte prenant le contre-pied de vérités trop facilement admises, du moins pas assez discutées, et cherchant à faire la part des choses avec le moins d’esprit partisan possible.

Je me souviens d’ailleurs avoir fait face à une situation inverse à celle que décrit Marc Molk : il y a quelques années de cela je me suis trouvé le seul à défendre l’avortement autour d’une table d’une dizaine de personnes. Je suis passé pour le sectaire de service, stupidement attaché à son idée de tuer des fœtus, malgré mes efforts désespérés pour exprimer mon opinion de la façon la plus mesurée possible, et de choisir les exemples les plus éloquents. En vain. Mes interlocuteurs restaient absurdement bloqués sur des arguments que je trouvais sidérants, du genre : « Non, les accidents de pilule ça n’existe pas… »

J’étais sorti extrêmement troublé de ce repas. J’étais bien obligé de constater que la plupart des débats, malheureusement, ne font pas changer les positions d’un iota. On n’a pas la chance d’avoir tous les jours à sa table une dizaine de Marc Molk.

COMMENTAIRES

1. Le samedi 10 mai 2008 à 21:59, par Marco

Je confirme: les gens débattent pour convaincre, écraser, humilier, contredire, briller, exploser, railler, se rassurer, ou, dans le meilleur des cas, pour le plaisir de parler, mais jamais, jamais pour faire évoluer leur pensée. Et quand par le plus grand des hasards notre pensée vacille vaguement et pourrait évoluer, on se garde bien de l'avouer aux interlocuteurs, on a notre fierté, hein.
Tu crois encore trop au dialogue, toi :)

2. Le dimanche 11 mai 2008 à 14:05, par pat

il faut bien y croire un peu !
notre civilisation meme n'est elle pas fondée sur l'idée que les mots font avancer les choses, que la conscience des faits les fait évoluer, que le dialogue démocratique apaise les tensions ? (hou-là, que de grands mots ! :-))

3. Le dimanche 11 mai 2008 à 14:49, par Marco

Tiens, boum! voilà, tu m'as convaincu! Comme quoi tu as raison d'y croire...
Sinon, oui, les écrits de Marc Molk sont fort intéressants, et toi tu as toujours le sens des titres ("l'avortement chez les bisounours", mais où t'arrêteras-tu? :)

4. Le dimanche 11 mai 2008 à 17:58, par pat

ah oui, tu as lu d'autres choses de lui à part ce court recueil de récits ?

5. Le dimanche 11 mai 2008 à 21:21, par Marco

Arf! non, je n'ai lu que "Pertes humaines". A vrai dire, je pensais qu'il n'avait rien écrit d'autre. C'est le cas? "Les écrits de Marc Molk", c'était juste une façon de parler (en fait, je m'emballe toujours facilement: quand un bouquin me plaît, je pars du principe que tous les écrits de l'auteur, passés, présents, futurs, virtuels, imaginaires devront me plaire:)

6. Le lundi 12 mai 2008 à 12:49, par Sophie

Monsieur Marco, j'ai remarqué un truc...des fois, lors de débats contradictoires, on peut avoir l'impression que les contradicteurs sont restés sur leurs positions, avec juste l'envie de convaincre, écraser, humilier, contredire...et puis un jour, on réalise que le débat d'idées a fait du chemin dans la tête des contradicteurs, et que les conceptions/représentations ont évolué...C'est que des fois, faut du temps pour que ça évolue!...Nos conceptions/représentations peuvent être très ancrées, et les faire bouger est ardu mais possible!

Autre point, apprendre à argumenter est un possible outil déterminant pour vitaminer la confiance en soi [ça l'a été pour moi!]. Et même si rien ne bouge dans les esprits [ou si ça bouge leeeentement], ça fait faire des travaux pratiques et c'est pas mal!

[sinon, avec des titres comme celui-là, mister Pat, tu dois te ramasser de ces requêtes "google" pas décevantes! ;-) ]

7. Le lundi 12 mai 2008 à 18:18, par pat

c'est exactement ça : en fait on peut évoluer des jours apres une discussion, simplement parce que l'argument fait du chemin en nous !!
le post qui m'a valu le plus de visite, c'est un post où je citais la fameuse réplique de chirac, à propos de tatcher : "elle veut quoi celle là, mes couilles sur un plateau ?"
Et puis un post aussi qui s'intitulait : "Sollers et les vieilles putes"! (en clin d'oeil à une satire de houellebecq)
c'est d'ailleurs assez fou, le nombre de personnes qui tapent "vieilles putes", sur google !!

8. Le mardi 13 mai 2008 à 10:27, par Marco

Madame Sophie, je suis bien d'accord! A condition de prendre son temps et de ne pas espérer voir des résultats immédiats, oui, on peut faire évoluer les mentalités (même notre propre mentalité!). Après, ça dépend des sujets, aussi. C'est sans doute plus facile sur les mangas (allusion au nouveau billet d'Aymeric) que sur l'avortement...
Mister Pat, on ne peut que se réjouir du succès googlien de "vieilles putes": ça prouve que les utilisateurs de google ne font pas de discrimination liée à l'âge, une chance pour nos ami(e)s du 3° âge. Ah! les honnêtes gens!

9. Le mardi 13 mai 2008 à 13:18, par pat

culottes sales, ca marche aussi beaucoup ! (mais ça, je ne sais vraiment pas où j'ai pu l'écrire sur le blog... Un de ces mystères du net que je ne percerai jamais!)

10. Le dimanche 19 mai 2013 à 01:06, par meizitang pills

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11. Le vendredi 24 mai 2013 à 05:43, par payday loans